Autant le dire, il y a des livres d’histoire qui vous tombent des mains, et d’autres, comme celui que vient de faire paraître l’historien et romancier Carl Aderhold, qui vous passionnent, parce qu’ils sont un savant dosage entre analyse, explications et anecdotes illustratives qui satisfont notre penchant pour les aventures. Le sujet de son ouvrage est étrangement neuf, car si beaucoup de chercheurs se sont penchés sur la situation des femmes à l’arrière pendant les guerres, peu ont osé aborder le destin des femmes-soldates. Chronique par Hervé Bel.
Spontanément, lorsque l’on pense à un soldat, on imagine rarement une femme. Il y a eu bien sûr les Amazones (encore qu’elles nous apparaissent surtout mythiques), des femmes de la noblesse de l’Ancien régime,… et bien sûr Jeanne d’Arc. Qui pourrait citer un autre nom de guerrière? « Pourtant, écrit Carl Aderhold, nombre de combattantes ont pris part à la Seconde Guerre mondiale, qu’elles aient été résistantes comme en France, en Italie, en Grèce et plus encore en Yougoslavie, ou engagées dans l’Armée Rouge soviétique, où elles sont près d’un million. »
Comme l’indique l’auteur, il ne s’agit pas de réécrire l’histoire. La guerre jusqu’à ce jour a mobilisé avant tout les hommes, mais il y a eu aussi des guerrières exceptionnelles qui ont influé sur le cours de l’histoire, et l’on constate d’ailleurs qu’avec le temps, elles ont été de plus en plus nombreuses.
Pourquoi certaines femmes ont-elles pris des risques alors que personne ne le leur demandait?
Telle est la question à laquelle Carl Aderhold cherche à répondre durant tout ce livre, en partant de la Révolution française qui introduit « une rupture essentielle », puisque l’éviction des guerrières devient à ce moment-là le socle de la société démocratique, car seuls les hommes sont alors citoyens et donc soldats. « Cette rupture, continue l’auteur, marque donc le point de départ de notre récit, une curieuse histoire d’émancipation politique, sociale et culturelle menée par les guerrières, les armes à la main. »
L’engagement des femmes dans les guerres au cours du XIXe siècle apparaît clairement comme un des moyens d’émancipation qu’elles ont trouvés pour échapper à leur condition. Entrer dans l’armée, être comme un homme, c’est à leurs yeux s’affranchir, goûter enfin à la liberté… Autre paradoxe, car la guerre oblige à la discipline, à une vie terriblement dure et sans cesse menacée. Mais, à leurs yeux, mieux vaut cela que le carcan où les maintient l’ordre social. Être soldate, c’est aussi la promesse d’une vie qui sera meilleure après la guerre, quand, leurs mérites enfin reconnus, ces femmes pourront vivre à leur guise.
On voit bien, par les exemples que cite Carl Aderhold, combien cette espérance a souvent été déçue. La société accepte parfois la guerrière, la valorise même, pour autant qu’elle soit exception, et qu’elle rentre dans le rang quand la guerre est terminée. Mais il semble que depuis 1945 la situation change peu à peu.
Ces espoirs, ces déceptions, Guerrières nous les raconte au travers du destin individuel de femmes du monde entier. On les suit pendant les guerres de la Révolution et l’Empire. Ainsi, cette Madame Sans-Gêne (à ne pas confondre avec l’épouse du maréchal Lefèbvre), alias Thérèse Figueur, qui poursuivra une carrière militaire de vingt ans s’achevant à la chute de l’Empereur. Elle prend part au siège de Toulon, intègre un régiment de dragons, combat si vigoureusement que les officiers signent une pétition pour qu’elle ne soit renvoyée dans ses foyers comme l’exige la Convention, participe aux batailles d’Austerlitz, Iéna, etc. En face, chez les Russes, il y a une autre femme, toute aussi courageuse, Nadejda Dourova qui recevra la reconnaissance du tsar…
Mais pour obtenir ce qu’elles appellent la liberté, que de sacrifices! Il leur faut abandonner toute féminité qu’elles considèrent d’ailleurs comme une faiblesse. Elles veulent être des hommes et oublier qu’elles n’en sont pas!
Sous la Commune de 1871, des femmes se soulèvent aussi, un temps empêchées par le gouvernement révolutionnaire avant que celui-ci en désespoir de cause ne se résolve à les appeler le 23 mai lorsque les Versaillais entrent dans Paris. Ainsi Nathalie Le Mel qui rejoint les barricades, Adélaïde Valentin, Victorine Eudes, sniper avant l’heure qu’un correspondant du Times comparera à Jeanne Hachette.
Pendant la révolution mexicaine (1910) et la guerre civile (1913), ce sont les soldadera, cartouchières croisées sur le torse, qui font parler d’elles. Revêtir l’uniforme est une façon pour elles de se faire admettre au sein de la lutte armée, mais aussi se protéger contre le viol. Maria Barrera raconte à propos d’un soldat qui la harcèle : « Je lui avais déjà dit de me laisser tranquille. (…) On se trouvait en plein combat (…) j’ai chargé l’arme et fait feu sur lui. Je l’ai zigouillé. » Amelia Robles, quant à elle, combat dans les armées zapatistes et finit colonelle « respectée, crainte par ses soldats ».
On laissera le lecteur découvrir les héroïnes de la guerre 14-18, les espionnes qui prenaient des risques insensés, ainsi Émilienne Moreau, Croix de guerre, pour arriver à la Seconde Guerre mondiale qui, assurément, marqua un tournant dans la participation des femmes à la guerre. Elles y furent admises, faute de personnel masculin ou pour des raisons politiques.
On y croise ainsi les « snipeuses » et les aviatrices soviétiques qui finiront par former trois régiments féminins. Parmi eux, le 588ème spécialiste dans le bombardement de nuit, ne tarde pas à devenir le plus connu. Pour atteindre leur cible, elles inventent une méthode qui va les rendre célèbres. Elles coupent leur moteur afin d’arriver par surprise sur leur objectif. Ce surgissement silencieux, en vol plané, terrorise les Allemands qui (les) surnomment « les sorcières de la nuit ».
Je pourrais continuer à vous donner l’eau à la bouche, et vous parler de la participation des femmes de la Longue Marche, des résistantes yougoslaves, des femmes du Kurdistan…
Si j’étais vous, curieux de sociologie, d’histoires et d’Histoire avec un grand H, j’irais rapidement me procurer ce remarquable ouvrage qu’est Guerrières orné du sous-titre « Prendre les armes de la Révolution à nos jours », l’assurance d’apprendre avec passion.
Paru le 06/03/2024
410 pages
Fayard
24,00 €
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