Ah, le Maine-et-Loire ! La galipette d’Anjou (succulents champignons farcis…) ou pour les becs sucrés, le Crémet, divinement aérien, mousseux et frais. Mais pour cette journée bien particulière, nous avions rendez-vous avec la romancière Laure Manel. À la manière de Stefan Zweig, délicatement revisité sauce gonzo journalisme, voici donc notre version de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme…
Le 16/06/2023 à 16:38 par Nicolas Gary
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Publié le :
16/06/2023 à 16:38
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Rencontrer, découvrir, raconter : en huit lieux de la ville d’Angers, la romancière Laure Manel nous a rejoué une version angevine de la Divine comédie. Durant toute une journée, elle a accompagné l’équipe à travers les murs de la ville, dans les lieux les plus symboliques pour elle : tout ce qui racontait son parcours personnel jusqu’au succès éditorial qu’elle connaît désormais.
TEASER - Une journée avec Laure Manel
Loin d’une visite des Enfers, elle fut toutefois notre Virgile, au fil des endroits : qu’ils évoquent des souvenirs, qu’ils parlent de son trajet professionnel, qui opéra un revirement complet — quitter le métier d’institutrice pour devenir autrice ! – autant d’occasions de faire connaissance. Un reportage en photos et podcasts totalement inédit. En route !
Premier arrêt : le Parc de la Garenne. Vaste parc public, cet espace vert offre aux visiteurs de profiter de la nature, se détendre ou se promener. Environnement paisible, c’est un endroit tranquille et unique pour se ressourcer et profiter de la nature en plein cœur de la ville. Et Laure Manel, d’évoquer son enfance.
« Mes premiers souvenirs d’Angers se trouvent ici. » Parce que la nature a pris une place fondamentale dans sa vie, elle développa très jeune une véritable passion pour les animaux. « Au point de vouloir devenir vétérinaire… même si cette vocation n’a pas duré bien longtemps », plaisante-t-elle.
C’est aussi à l’âge de 10 ans qu’elle déclare à sa mère : « Plus tard, je veux écrire des livres. » Véritable « moulin à paroles », comme le disent ses parents, elle découvre le plaisir des figures de style en 3e. « Ma professeure de français m’a fait inventer ma première métaphore… » Les bases étaient posées.
À deux pas de la gare d’Angers, quittant le parc de la Garenne, nous gagnons la Librairie Lhériau, place de la Visitation. Repris en 2019 par Sébastien Pitault, l’établissement a été ouvert en 1978 par Philippe Lhériau. Un lieu significatif pour la romancière.
« Je suis un peu née dans les livres », Laure dévore les ouvrages, de même que les différentes revues jeunesse auxquelles elle est abonnée. Des séries demeurent, comme L’étalon noir, série de romans de Walter Farley (bibliothèque verte, trad. Jacques Brécard). Des chevaux, à perte de pages, il n'en fallait pas plus pour « que je lise et relise encore ces histoires ».
Il y aura aussi la rencontre avec Lettres à un jeune poète, de l’Allemand Rainer Maria Rilke. « Cette lecture m’a confortée dans mon envie profonde d’écrire... bien que je ne m'y sois lancée que plus tard » Le goût des mots, « des beaux mots » était déjà là.
Il y a les ouvrages de l’enfance, qui forgent et sculptent l’esprit, et ceux qui accompagnent l’adolescence, l’âge adulte. En parcourant les rayons de la Librairie Lhériau, nous avons demandé à Laure de nous proposer une bibliothèque idéale éphémère...
C’est vers les ouvrages de développement personnel qu’elle se lance tout d’abord… « Je suis tombée dans la potion quand j’étais petite : ma mère avait une maîtrise de psychologie et de philosophie : sa bibliothèque regorgeait d’essais en tous genres. »
Dans les classiques, « l’histoire d’amour ardente, mais platonique », l’inévitable Lys dans la vallée. Balzac, évidemment, mais aussi Flaubert, tout aussi incontournable. Plus récemment Philippe Besson (après des périodes Philippe Labro, Alexandre Jardin ou David Foenkinos). « Aujourd’hui, je cherche des lectures parfois plus sombres, pas nécessairement noires. C’est aussi une manière de se frotter à d’autres univers, pour évoluer soi… tout en gardant ma propre musique en tête. »
Propriétaire de la librairie, dont il a volontairement conservé le nom du fondateur, Sébastien Pitault accorde une attention particulière aux livres de Laure Manel. « Une prime à la proximité », sourit-il.
« Elle a su se démarquer de ses contemporaines, en apportant un petit plus que ses lecteurs et lectrices viennent chercher à la sortie du nouveau roman. » Mais plus encore, les clients expriment une certaine impatience. « Ils sont souvent curieux de savoir si elle saura les surprendre… »
Quoiqu’ils occupent une grande place dans sa vie, il n’y a pas que les romans, bien au contraire. Quand elle se lance, Laure Manel travaille par phase d’immersion complète. Mais entre deux apnées d’écriture, elle partage volontiers des plaisirs plus terrestres.
La cuisine, la gastronomie plus largement, comptent beaucoup pour elle. Des livres de recettes à foison peuplent sa maison, et elle fonde un club avec ses meilleures amies qui durera 7 ans : Les Toquées. Objectif ? Des dîners d’exception, tant dans leur préparation, que par les thèmes qui les portaient. « On se réunissait toutes les six semaines, chacune cuisinant une partie du repas. C’était absolument fantastique. »
Les jeux de société occupent aussi une grande place : « Je suis bluffée par l’inventivité des créateurs, dont l’imagination semble infinie. » Et surtout, la photo : argentique, bac révélateur et chambre noire, à une époque… Plus qu’un passe-temps, une véritable religion, que le numérique n’a, bien au contraire, qu’accentué…
Après un bac Littéraire à Laval, et contre l’avis de certains qui la voyaient intégrer une classe d’hypokhâgne, Laure revient à Angers en 1996 pour une Licence de Lettres modernes, à l’UFR, dans le quartier de Belle-Beille. Là, elle suit des cours d’histoire de la littérature, de littérature comparée, de grammaire et stylistique (qu’elle adore), de linguistique, etc. (et beaucoup de latin, puisque cette faculté exige de ses étudiants de lettres modernes qu’ils maîtrisent cette langue... classique.)
Elle aime les dissertations et autres commentaires de textes, se sent là comme un poisson dans l’eau. En fin d’année de Licence, elle prépare et passe le concours d’entrée à l’IUFM de Bretagne et des Pays de la Loire.
En arrivant devant l’IUFM d’Angers, c’est une émotion particulière qui s’empare de notre invitée. Autant reconnaît-elle un parcours universitaire plutôt sage – la faculté des Lettres n’offrait pas tant d’occasions de faire la fête –, autant la formation pour devenir professeure des écoles fut une époque marquante.
Retrouvant le foyer, espace commun de vie, presque tel qu’elle l’avait laissé en 2001, Laure s’installe naturellement au piano. Et refuse d’en sortir la moindre note. Car les souvenirs affluent. « J’ai passé une année de formation extraordinaire, avec beaucoup d’entraide et de solidarité entre toutes et tous. »
Au sortir de l’IUFM, elle devient maîtresse, puis directrice d’établissement quelques années plus tard. « On a tellement de choses à apprendre et à donner à l’école primaire : c’est un tremplin, cette période, terriblement important pour la suite. Même s’il est peut-être dévalué… » Elle restera dans l’Éducation nationale pendant 18 ans.
La place du Ralliement est une vaste esplanade piétonne entourée de magnifiques bâtiments historiques. Lieu emblématique, au cœur de la ville, notre invitée l’a choisi pour évoquer la plus grande transition de sa vie : quitter l’enseignement pour être pleinement romancière.
En 2010, alors qu’elle partage sa vie entre les élèves, leurs parents et l’administration, une rencontre va tout chambouler. « J’ai rencontré quelqu’un qui ne me connaissait qu’à peine. Et il me dit que je devrais écrire… » Ce fut comme une révélation.
Laure suit une formation de scénariste, devient écrivain public et un beau matin saute le pas de la fiction. Elle autopublie sur Kindle son premier roman. Puis un autre et un troisième, qui cette fois rencontre un plus grand succès et lui ouvre les portes de l’édition traditionnelle. Il faudra faire un choix…
Prisé des pêcheurs, l’étang Saint-Nicolas est situé en-dessous du parc de la Garenne. Nous ne nous y arrêtons ni pour les carpes ni pour les gardons ou les brochets. Creusé au Xe siècle, l’étang permet aux joggeurs une boucle de 5 ou 8 km, entre les oiseaux et les écureuils. Face à cette apaisante étendue d’eau, Laure parle de ses secrets d’écriture.
« Au départ, j’avais cette tendance de l’écrivain-architecte, avec un plan très établi, un descriptif des scènes. Désormais, je laisse bien plus mes personnages porter l’histoire et je les suis. J’ai voulu développer avec le temps des intrigues plus poussées – donc j'effectue bien plus de recherches en amont. »
Mais la chance véritable, ce sont ces phrases qui viennent avec une certaine aisance – pour le premier jet. « De toute manière, ce sera modifiable, lors du travail d’édition. D’ailleurs, ça va de pair avec ce plaisir de travailler dans l’urgence : plus la date de rendu du manuscrit approche, plus je vais m’enfermer, écrire huit heures par jour, durant cinq à sept semaines… ».
Vingt-quatre heures, peut-être moins dans la vie d’une romancière qu’en sa compagnie. Presque trop court, au fil des échanges, quand on se retrouve au point de départ : la gare d’Angers est face à nous. Il faut se séparer, au terme d’une journée de fous rires, de confidences et de souvenirs…
C’est aussi sur une ultime confession que Laure nous laisse : « J’ai besoin que mes personnages existent pour de vrai, même s’ils sont bien dans ma tête. » Pardon ? « D’abord, je leur façonne une biographie précise. Ensuite… » Ensuite ? « Je leur trouve une tête. » Heu… « Je cherche sur internet, pour trouver une photo, selon différents critères, jusqu’à trouver le visage qui incarnera chaque personnage. »
Et d’ajouter : « En écrivant, j’ai cette sensation d’être au cinéma. Chaque roman est une aventure cinématographique pour moi, avec l’impression d’être spectatrice de leur histoire. »
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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NAUWELAERS
17/06/2023 à 00:58
Un commentaire tout à fait indispensable quant à la première ligne: n'oublions pas le rosé d'Anjou !
Et voilà un article de haute volée, l'équivalent sur ce site de ce que doivent être les champignons farcis d'Anjou dans le domaine culinaire (je ne connais pas et en suis marri -cela doit être transcendant !).
J'avoue ne pas connaître encore cette romancière, mais je suis séduit par le parcours et la personnalité que Nicolas Gary nous présente en les mettant magnifiquement en valeur.
Je n'ai fait que traverser Angers de temps à autre...dans un train, je n'en connais donc que les quais et cette vision d'Angers est pour le moins réductrice.
Sérieusement, cette cité semble pleine de charme.
Et si Laure Manel postulait pour féminiser un peu plus l'Académie française, et cela avec succès, eh bien...elle côtoierait une collègue angevine, à la fibre sociale très développée: Danièle Sallenave !
Alors bon vent à cette auteure ou auteuse (pourquoi pas ?) ou autrice ou romancière ou écrivaine voire à cet écrivain -en lui laissant bien entendu le choix de la dénomination la plus pertinente.
Cet amour des livres, de la littérature et des mots fait plaisir et met en avant un ingrédient essentiel de la qualité littéraire, cette notion étant trop souvent devenue une faible variable d'ajustement dans la course au succès commercial.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Sonia Kermen
17/06/2023 à 16:59
Tres bel article, J’ai découvert la plume de Laure y a très peu de temps, et j’aime vraiment. Cet article est très bien écrit, juste aussi et je comprends mieux le travail de l’autrice et son dédoublement de génie entre la femme et l’artiste ! Bravo
Découverte
20/06/2023 à 21:40
Merci pour cet article, hors norme, et ce portrait qui rend justice à Laure Manel.
Je suis ses romans depuis l'autopublication, et me retrouve complètement dans ses propos.
Bravo !
Lectrice
22/06/2023 à 12:53
C'est un reportage fantastique, tant pour l'immersion que pour l'originalité, bravo.
Je ne suis pas forcément lectrice des textes de Laure Manel, mais cette approche m'a convaincue de passer outre la réticence.
Merci beaucoup.